Un été plein de surprises

Publié le par Phanybe

Printemps 2011:

     Je sors d'un hiver des plus longs et plus froid que j'ai connu à présent: grosse fatigue et déprime au RDV.

Faut dire qu'en plus du dur hiver, ça ne va pas au boulot: beaucoup de stress à cause du bruit, des relations d'équipe, du turn-over des employées....., je dois trouver un appart et déménager (visites, cartons...), et les cours à l'université un samedi sur deux + les heures de travail perso qui vont avec m'épuisent d'avantage, puis les travaux dans l'immeuble, dans la rue, le bruit des voisins perturbent mon sommeil et mon besoin de silence.....je pète un câble.

Faut que ça s'arrête. Je le sens c'est urgent. Ma santé mentale est en jeu. Pis il y a un truc qui ne va pas. C'est pas une vie. Je travaille dans un domaine qui ne me plaît pas, parce que je suis formée pour ça, que je ne sais pas quoi faire d'autre, parce que c'est le boulot le plus payant pour moi ici (et pourtant c'est pas si payant que ça éducatrice en garderie: 17$ de l'heure après 8 ans d'expérience, c'est misérable), parce qu'il faut bien payer son loyer, ses factures et se nourrir, pis s'il reste un peu d'argent, s'offrir quelques loisirs...pas grand chose d'autre. Mais là, je bosse comme une dingue depuis que je suis au Québec, avec seulement deux semaines de congés payés par an. Comme ça ne suffit pas pour se reposer et rentrer voir un peu la famille en France, j'en prends 2 de plus sans solde chaque année. Mais deux semaines sans solde, ça veut dire qu'il faut économiser encore plus pour compenser le manque à gagner. Donc une fois mes 3 semaines prises en France et une semaine de break à Noël, il ne me reste plus de vacances pour voyager, voir du pays, ou aller au soleil une semaine pendant l'hiver. Ce qui fait qu'en 5 ans ici, pas eu le temps ni l'argent pour traverser le Canada jusqu'à Vancouver en passant par les Rocheuses. Pas réussi à réaliser mon rêve. Pis si je continue ainsi les 5 prochaines années risquent de ressembler pour beaucoup aux 5 dernières. Je ne veux plus de cette vie là.

      Pis quand je dis que je travaille dans un domaine que je n'aime pas, ça veut pas dire que je déteste être éducatrice. Non, éduquer des enfants ça peut être le fun. Ce sont les conditions de travail qui rendent le boulot pénible.

Un éducateur a soit 5 bébés, soit 8 enfants à sa charge pour toute la journée. Je vous laisse imaginer....

Alors quand on me dit: "Pourquoi il faut faire 3 ans d'études pour être éducatrice?" Je rigole.  La plupart des parents honnêtes me disent être débordés avec 1 ou 2 enfants. Moi j'en ai 8 de 3 ans.  8 enfants de 3 ans à occuper pour qu'ils ne sautent pas dans tous les sens et se fassent mal et que leur parents me demandent: "Comment ça il est tombé? Mais vous ne les surveillez pas?", pour qu'ils ne se se chamaillent pas toutes les 2 mn pour la même poupée ou la même voiture rouge qu'est mieux que la bleue, 8 enfants à servir à table, 8 à habiller pour aller dehors, même en hiver où faut mettre les pantalons de neige, les manteaux, les tuques, les mitaines qui ne sont pas dans le panier et qu'on cherche partout, les bottes qui n'ont pas de nom et que l'enfant ne reconnaît pas parmi les 50 paires qui jonchent le sol du vestiaire..........8 enfants à envoyer aux toilettes, changer les couches de certains, les culottes souillées d'autres, pis courir après des rechanges parce qu'ils n'en ont plus dans leur casier.....Quand enfin ils dorment tous, à 13h30, t'as une heure de pause, tu peux enfin aller manger,  et essayer d'évacuer tout le stress déjà emmagasiné dans la matinée, où tu as du gérer une morsure, 2 crises de nerfs à se rouler par terre avec cris stridents + 5 crises de pleurs  pour un bobo où un jouet  volé (un cri = 120 à 130 dB), ceci rien que dans ton groupe (à multiplier par 3 puisqu'on est 3 groupes dans le même local, ça fait 6 crises de nerfs de 5 mn chacune et 15 crises de larmes à 2 mn = 1h du hurlements dans la matinée (alors le seuil de douleur est à 120 dB et qu'une exposition de plus de 7 secondes laise l'audition), en plus du bruit général du local qui doit bien avoisiner les 70 décibels quand les enfants jouent calmement. Il faut ajouter le même nombre de décibels dans l'après-midi. Dans un local de 8 enfants le niveau sonore moyen est de 85 dB, et on ne peut  supporter ce niveau au delà de 8h par jour (l'OMS préconise des protections d'oreilles au delà de 75 dB), et comme nous avons plus de 20 enfants dans le local, le niveau doit largement dépasser les 85 dB , seuil de danger pour l'oreille. On comprend pourquoi en rentrant chez soi, on ne peut tolérer aucun bruit, même pas de la musique. On veut juste du SILENCE.

Si on ajoute à cela des locaux  et du mobilier mal adaptés qui compliquent ton travail, accentuent le nombre d'accidents et conflits....fatiguent ton dos.....etc....on arrive à un pétage de plombs des éducateurs, et donc des démissions en grand nombre et donc un turnover d'enfer, qui fatigue les éduc qui restent parce que faut s'adapter à la nouvelle personne, sa façon de travailler.....pis avoir une plus grosse charge de travail le temps de son adaptation.....Fait que les éduc qui restent finissent par péter un câble aussi. Pis si en plus on a une boss qui est soit  complètement tarée et odieuse (ça existe), soit sympa mais incompétente, ben ça rend pas les choses plus faciles. Car il faut le dire, au Québec, on n'est pas obligé d'être qualifié pour ouvrir une garderie. Ce qui fait que ceux qui dirigent les garderies privées ne connaissent rien au domaine de l'éducation, pis ce sont eux qui dirigent les éducateurs et qui prennent les décisions financières comme pédagogiques. Woouuuhh!

Ah oui, c'est aussi pour ça qu'on fait 3 années d'études en France pour être EJE, parce qu'on est formé pour être capable de diriger une structure d'accueil d'enfants. C-à-d qu'on fait de la gestion et animation d'équipe, de la gestion de projets, du droit de la famille, de la gestion de conflits, de l'aménagement de l'espace......et j'en passe. Et c'est bien dommage que ça ne soit pas obligatoire icite.

Bref, j'ai fait un burnout!


     Du coup fin de contrat à la garderie à la fin juin. J'ai  la chance sur ce dernier contrat d'avoir la patronne sympa mais....Bref! C'est parce que je me suis effondrée dans son bureau que j'ai enfin été écoutée et qu'une discussion de mon contrat a été entamée. 

A peine la fin de contrat négociée et ma décision prise, je suis soulagée. Je retrouve le sommeil et le sourire. Je profite à fond de mes deux dernières semaines avec les enfants. Rien que le fait de savoir que dans deux semaines je suis libre me redonne le moral. Je redécouvre les joies de partager ma journée avec des enfants: un calin, un "je t'aime" ou un énorme sourire d'un enfant, et je sais pourquoi je fais ce métier :)

Mais mes dernières expériences de travail n'ont pas aidé. Je suis épuisée. J'ai besoin d'un break.

Je prends un billet aller simple pour la France, pour assister au mariage de mon cousin début juillet. 


 

100_1693.JPG

 

 

 

Eté 2011:

     J'arrive en France sans aucun projet sauf celui de me reposer, de déconnecter mon cerveau, d'arrêter de penser, de réfléchir à demain. J'ai laissé mes soucis à Montréal et pris ma carte de crédit avec moi.

Pendant cette pause, je décide de laisser les portes ouvertes à toutes éventualités.

Je me repose, je mange, mange, mange: des pâtisseries, riz au lait, crêpes, les petits plats de maman et de soeurette. Je vais à la plage. Je me laisse porter: on me cuisine des bons petits plats, on me loge, on me balade....je n'ai rien à penser. Je fais le vide dans ma tête, enfin. J'arrive à débrancher un peu mon cerveau et à lâcher prise. Merci d'ailleurs à ceux et celles qui m'ont accueillie et ont pris soin de moi pendant ce séjour.

 

     La semaine de mon arrivée, je rencontre en ville un ami que j'ai perdu de vue depuis bien longtemps et qui est de passage sur Nantes. On prends un verre, je lui parle de mon break, de mon besoin de faire le vide.....Il me parle de son bateau qu'il a retapé et qu'il va mettre à l'eau dans quelques jours dans le sud de la France. Il me propose de venir y séjourner quelques semaines, car parait que sur un bateau il n'y a rien à faire d'autre que regarder la mer, faire le vide, méditer (enfin si on est pas capitaine, ni matelot). Je lui réponds que je vais y penser. Et à bien y penser, c'est une assez bonne option. J'ai rien de planifié pour mes vacances, je ne suis jamais allée sur la côte d'Azur, je n'ai jamais fait de voilier (autrement que du topper ou de l'optimiste), j'aime la mer, la plage......Je prend donc un billet de train pour Toulon. 

      A Toulon, je prend la navette fluviale qui m'amène au port où se trouve le bateau. Mon ami m'attend au quai. Il m'amène au bateau. Je rencontre ses deux amis, Marie et Stéphane, avec qui nous allons passer les vacances. L'entente est parfaite entre nous 4. Nous passons finalement plus de temps à quai qu'en mer, à cause de la mauvaise météo marine, mais finalement, j'en suis pas si déçue car je découvre à l'occasion le mal de mer. :(

      Les vacances se résument ainsi: réveil vers 10h, café, plage, 13h: déjeuner, puis sieste jusqu'à 16h, café, plage, 19h: apéro en terrasse, 20/21h dîner puis au choix, balade en ville ou film sur le bateau ou jeux de société, ceci ponctué de quelques journées de navigation. Tout se passe bien, je me repose le corps et l'esprit. Je recharge les batteries de soleil, d'iode, de joie......mais je vide la carte de crédit qui ne veut plus me délivrer de petits billets. Je dois donc remonter sur Nantes pour aller travailler et moins dépenser.

 

100_1766.JPG

 

100_1767.JPG

 

100_1791.JPG

 

100_1798.JPG

 

 

 

 

 

 

 

 

 

100_1888.JPG

 

 

     En effet j'avais parlé à un ami du fait que je cherchais à effectuer des petits boulots pour gagner un peu d'argent afin de pouvoir prolonger mon séjour. Il entretient le jardin de l'ex-femme du recteur de l'académie de Nantes. Elle cherche quelqu'un pour remplacer sa  femme de ménage qui est en vacances. J'accepte la job. Elle habite dans une magnifique demeure au sein du campus de l'université des sciences, dans un magnifique parc au bord de l'Erdre. Je sympathise très vite avec elle. Chaque fauteuil que j'époussette pourrait être un fauteuil que je restaure. J'ai plein d'idées rien qu' à les regarder. Je retaperais bien tous ses meubles, redécorerais cette magnifique maison. On discute, je lui parle de ma passion, elle me montre des fauteuils qu'elle a fait restaurer, me donne des contacts. Elle me propose même une chambre chez elle, en échange de compagnie et de petits services. Mais je dois repartir bientôt sur un autre continent. En tous cas c'est décidé: je veux devenir tapissière d'ameublement. Les rencontres, les hasards, peuvent changer une vie. J'ai toujours voulu être artisan, travailler de mes mains, le bois, le meuble. Mais il manquait quelque chose. Ca y est, l'étincelle s'est produite.

 

     Retour à Montréal avec de grands projets. Je m'inscris à l'assurance emploi. Oui, oui, ça existe aussi au Canada. La France n'est pas le seul pays à offrir des aides sociales. Et je me renseigne sur les formations de tapissier-garnisseur. Je ne trouve rien, mais c'est normal, car j'apprendrai ensuite que ça se dit "rembourreur artisanal" icite. Tu m'étonnes que google ne trouvait rien, j'avais pas les bons mots. Enfin, je découvre qu'il existe deux écoles qui forment des rembourreurs au Québec: à Victoriaville et à Montréal. Pis je découvre aussi qu'en tant que français au chômage à l'étranger, je peux postuler à une formation afpa en France, par l'intermédiaire du consulat. Alors je me lance dans les démarches ici et là-bas. Pour le reste, je fais confiance à la vie. Je fais appel à l'univers pour me trouver le moyen d'arrondir mes fins de mois.

Peu de temps après, on m'appelle pour donner des cours de français dans mon ancienne garderie. J'accepte. Et une amie me rencarde aussi pour des remplacements dans une boutique de vêtements.  Du coup, je m'en sors pas trop mal et j'ai du temps pour les démarches administratives pour entrer en formation. C'est amusant comme les choses quelquefois viennent à nous, toutes seules.  La loi de l'attraction?

 

 

 Rentrée 2011:

     Fin août, je vais à une soirée de rencontre avec les anciens du théâtre. Je parle avec Peter qui me dit avoir vu sur mon mur FB que j'aimais la mécanique vélo. Pis en discutant sur le sujet, j'en viens à lui dire que mon rêve est de traverser le Canada à vélo.  Et là, quelle surprise, il m'annonce l'avoir fait il y a 20 ans de cela. Il me raconte son voyage et mon rêve, à son écoute, se réveille.

     Deux semaines plus tard, je vais à une soirée Internations (rencontre d'expatriés). J'ai plus très envie d'y aller, mais j'ai rien d'autre de prévu, pis le bar "Les terrasses Bonsecours" a l'air sympa, sur le vieux port, à l'air libre, et il fait beau et chaud....alors je me force un peu, je prends mon vélo et hop, en quelques coups de pédales je suis sur le bord du Saint-Laurent. Je monte en terrasse, il n'y a pas grand monde. "Qu'est-ce que je fou là?" est la première idée qui me vient en tête. Je ne me sens pas à l'aise du tout. Je redescends l'escalier et comme il fait beau, je vais m'asseoir sur un banc au bord du bassin Bonsecours et je passe quelques coups de fil, quand je vois un ami, Benoit, entrer dans le bar accompagné d'un autre gars. Mon appel terminé, je me dis: "Ok, je vais dire bonjour à Benoit et je rentre chez moi ensuite".  Je remonte en terrasse, je retrouve Benoit au bar. Il est avec deux amis: Gautier, un pote de France en vacances à Montréal, et Claire, que j'ai déjà rencontrée. On se donne des nouvelles puisque je me suis absentée longtemps en France et j'en profite pour lui parler de ma réorientation de carrière vers la tapisserie d'ameublement. Il est surpris et me dit que Gautier aussi fait un revirement de carrière, d'ingénieur vers thérapeute. Du coup, on discute ensemble de nos raisons et motivations pour ce changement de vie. J'apprends que Gautier a vécu à Montréal plusieurs années durant, qu'il est rentré vivre en France, qu'il s'est rendu compte que son boulot d'ingénieur était la principale source d'insatisfaction dans sa vie et que ses allées-venues entre la France et le Québec étaient devenues inutiles depuis qu'il avait trouvé sa voie. A méditer!

Mais j'apprends aussi et surtout qu'il a fait la traversée du Canada à vélo (lui aussi, décidément!).

En l'espace de deux semaines, en plein dans une période d'ouverture maximale de ma part,  je croise deux personnes qui ont réalisé un de mes rêves: traverser la Canada à vélo. Ne serait-ce pas un signe?

J'ai bien fait de venir à cette soirée Internations finalement. Benoit, Gautier, Claire et moi, discutons toute la soirée et quittons à la fermeture du bar. On rentre mon vélo dans le coffre du char de Benoit, et on fait une petite virée à la banquise pour se goinfrer de poutine juste avant d'aller dormir :) Superbe soirée!

 

 

100_2175.JPG

 

 

      Début octobre, je fais un stage d'une demi-journée à l'école des métiers du meuble de Montréal. J'y fabrique deux coussins. J'adore. Je suis à ma place. Je décide donc de m'inscrire pour la rentrée qui est fin octobre. Je dépose mon dossier avec tous les papiers requis. Mais, ici, on me demande de faire faire l'équivalence de mes diplômes français pour prouver que j'ai un diplôme de fin d'étude secondaire, minimum requis pour entrer en DEP de rembourreur artisanal.

106$ de frais et 2 mois 1/2 d'attente me font louper la rentrée d'octobre.

Je rencontre la conseillère formation d'emploi québec, pour voir si je pourrais conserver l'assurance emploi pendant ma formation. Mais la réponse est négative, parce que l'objectif d'emploi québec est le retour à l'emploi. Et comme j'ai déjà une formation (EJE) dans un domaine qui embauche à fond, il ne m'est pas "nécessaire" de faire une formation pour retrouver du travail. Je dois donc financer par moi-même mon choix (et non mon obligation) de changement de carrière.

Du coup je demande un entretien avec la conseillère "prêts et bourses de l'école".

Je démarre pendant ce temps les démarches pour la France avec le consulat: dossier, CV, lettre de motivation...et j'envoie le tout au consulat mi-décembre. 

J'envoie le préavis de mon appartement dont le bail se termine fin janvier. Parce que si je deviens étudiante ici, j'aurais plus les moyens de payer mon loyer, et si je suis acceptée en France, ben je serais libérée de mon bail.

Mes préférences et réflexions m'orientent de plus en plus vers la France. Pis c'est peut-être pas un hasard si j'ai pas pu commencer en octobre.

 

       Et je pense de plus en plus à traverser le Canada avant d'entrer en formation et éventuellement de rentrer en France.

 

:)

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article